LA GNOSE |
Tout le monde est d’accord pour dire que le mot gnose veut dire « connaissance », mais la difficulté et l’ambigüité est de définir cette connaissance, les moyens pour y arriver et expliquer les différences entre la Gnose, le gnostique et le gnosticisme. La gnose des premiers siècles avait une résonnance différente de celle que nous pouvons pratiquer aujourd’hui, car cette gnose qui a traversé 2000 ans d’histoire a été pénétrée par des idées religieuses, ésotériques, hermétiques philosophiques ou alchimiques et tous ces ajouts successifs ont d’ailleurs provoqués des dichotomies importantes parmi les mouvements et les enseignements gnostiques Pour prendre une image, je dirais que la gnose est comme le fleuve Amazone, qui en amont reçoit beaucoup d’autres rivières ou petits cours d’eau, grossit puis arrive au delta où là elle se sépare en de multiples rivières, mais l’eau qui circule dans ces rivières est différente de celle de l’amont car elle s’est enrichie de limons divers et de diverses matières qui vont lui donner une coloration, une texture et un goût différent. Durant l’Antiquité et la période présocratique, il y eut émergence puis généralisation des philosophies sapientielles et des cultes à mystères, leur fusion a produit l’intériorisation et la découverte du processus spirituel et de ses diverses voies. Au sujet de l’enseignement gnostique des premiers temps, c'est-à-dire pour les 3 premiers siècles, je la résumerais ainsi : La gnose est un enseignement très élitiste, ne s’adressant qu’aux initiés. Elle est duelle car le bien et le mal sont la préoccupation principale, hérité du système zoroastrien et mazdéen, enfin, seule la recherche de la connaissance et sa pratique, conduit l’homme vers son salut par l’introspection au plus profond de l’être .Même la foi et les œuvres sont superflus, dès lors point n’est besoin d’une Eglise constituée et de son rôle de médiation ou de transmission de l’enseignement du Christ par ses chefs. Dans sa cosmogonie, habite tout en haut le Dieu Grand Abîme, en dessous sont les éons qui forme le plérôme ou conseil de Dieu. Un jour un éon appelé démiurge se révolta et créa l’homme et la matière. C’est cette trilogie –démiurge, homme et matière- qui rend l’homme mauvais et prisonnier des ténèbres. Pour son salut post mortem et pour sortir de son enfermement ténébreux, l’homme devra rechercher la connaissance divine. Il devra méditer l’aphorisme écrit sur le fronton de Delphes « Homme, connais toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux ». Cette sentence n’étant pas une invitation, mais une affirmation et surtout un devoir. En pénétrant son intériorité et en méditant cet aphorisme, l’homme va du microcosme vers le macrocosme, essayant de sortir de son enfermement par la libération de son âme. L’enseignement gnostique était basé sur 4 piliers : A/ La philosophie ou l’amour de la Sagesse, cette Sophia qui mène à la Sagesse de l’Amour. Platon en faisait un outil de compréhension et d’expérience du divin, cette connaissance de la divinité se faisait par la contemplation du Beau et du Bien qui mènent au Vrai, lequel devient salvateur en le libérant et en l’emmenant à Dieu. B/ L’Art et les Beaux Arts, dont l’application doit être spirituelle. L’inspiration et l’intuition sont à l’écoute du souffle de l’esprit qui va enrichir la transmission à travers les mots, les couleurs, les formes, l’architecture, la poésie, la peinture ; tout cela représente des voies de compréhension de la Vérité, de l’Amour et du Bien par la Beauté (3e pilier-Beauté- en F.M. et séphire centrale dans l’arbre séphirotique- Tipheret) C/ La Science qui par les chiffres, les nombres et la géométrie, définit les grandes lois qui régissent l’Homme et l’Univers. On y inclura les sciences occultes comme l’Alchimie, la Kabbale, l’Astrologie, la Numérologie ou autre Géomancie, car toutes ces sciences portent en elles un message de connaissance et de sagesse et que parler d’Art divinatoire doit avoir un aspect de reconnaissance de l’intuition, or l’intuition se tient toujours à égale distance de la subjectivité et du rationalisme. C’est cet équilibre qui donne à l’homme la Sagesse. D/ Le dernier pilier de la Gnose est la pratique de la mystique, de la religion ou de la spiritualité. C’est le désir de l’Homme de s’unir à Dieu qui est à la fois en lui et en dehors de lui, c’est l’Etoile Flamboyante dans le cercle et la divinité en son centre. La Gnose n’a pas de fondateurs, elle est éternelle, universelle et la propriété de tous et de personne. La connaissance est accessible à tous mais tous ne peuvent la recevoir de la même façon. Les gnostiques distinguaient 3 groupes : 1/ Les Elus, les Spirituels ou les Psychiques, ceux là seront sauvés, car l’esprit qui souffle les guide. 2/ Les pneumatiques. Le pneuma est composé d’air et de lumière, ceux là peuvent être sauvés s’ils s’en donnent la peine 3/ Les hyliques matérialistes. Ceux là sont perdus, car la matérialité domine l’esprit, ils sont guidés par le mental et les émotions. A l’époque de Jésus, vivait près d’Alexandrie une secte appelée « les thérapeutes d’Alexandrie », c’était une communauté assez proche de celle des Esséniens de Qumran, ils ne guérissaient pas les malades mais les mettaient en condition d’être guérit par Dieu. Leur ennemi était le « désir », ce que nous, nous appelons égo, passion, jalousie, addictions ou vouloir, ils prêchaient le non attachement aux possessions terrestres, et combattaient le mal dans un environnement gnostique duel. A cette époque tous les enseignements gnostiques étaient dualistes, on était dans l’opposition du monde d’en haut avec celui du monde d’en bas, le monde des ténèbres avec celui de la lumière. L’Homme est mauvais, matérialiste, corrompu, il vit dans un monde de mort et d’illusions et nait avec cette malédiction en lui, cette théorie sera d’ailleurs reprise par les Pères de l’Eglise et St Augustin qui l’appelleront « le péché originel ». A l’opposé, le monde céleste est le monde de la vie, de l’incorruptibilité, c’est un monde spirituel, un monde de vérité et d’Harmonie, c’est le monde de la Lumière. Le salut par la connaissance ne peut venir que d’en haut, ce sera par Jésus dans les évangiles gnostiques, Hermès ou Seth dans d’autres courants. Parmi les premiers gnostiques, certains ont marqué de leur empreinte les esprits et les écrits : Simon le Mage : Contemporain de Jésus, il fut un magicien reconnu, aux pouvoirs extraordinaires. Son enseignement était basé sur la prédominance du feu supra céleste qui donne naissance à l’âme. Il suscita beaucoup de controverses et de haine des premiers chrétiens. Basilide : Il est le premier des grands gnostiques d’Alexandrie. Il arrive en l’an 120 et se dit disciple des évangélistes Luc et Mathieu. Il enseigna un christianisme ésotérique gnostique, il fut également proche des Stoïciens, des cyniques et des épicuriens et comme eux enseignait comment devenir des élus, étrangers à ce monde en pratiquant le non-désir, le non-vouloir et le non-haïr Marcion : Il opposa la loi de Moïse à celle de l’Evangile; le dieu de justice de la Bible au dieu de bonté des Evangiles. Marcion eut une influence certaine sur le clergé de l’époque, ce qui obligera les Pères de l’Eglise à lier le Nouveau Testament à l’ancien. Marcion fut un grand prédicateur qui eut du succès en fustigeant le clergé chrétien tout en développant ses thèses gnostiques sur la simplicité. Les « antithèses » est le seul ouvrage de lui qui nous soit parvenu, on connait certains de ses autres livres par ses détracteurs comme Tertullien, Irénée ou autre Epiphane. Marcion était très cultivé et d’une profonde conviction, il créa et laissa une religion en ordre de marche. Valentin : Grande figure gnostique de Rome, il va développer et structurer les théories gnostiques fondatrices de l’univers. Le Propator (le Père), engendre Sige (le silence), qui engendre le Noùs (l’esprit) et Aléthéia (la Vérité) qui à son tour engendre le Logos (le verbe) et Zoé (la vie) et ainsi de suite jusqu’à l’Anthropos (l’homme) lequel engendre Thélétos (la volonté) et Sophia (la sagesse). Ces 30 premiers éons constituent le Plérôme dont sortira le démiurge créateur. Tout cet enseignement se trouve dans la Pistis Sophia, la bible des gnostiques d’Egypte. Hermès Trismégiste : Il est le père des sciences occultes. Dans son livre le « Corpus Hermeticum » on peut y lire « La gnose hermétique est la connaissance de Dieu en tant qu’hyper cosmique, ineffable, non susceptible d’être connu par les seuls moyens rationnels et la connaissance de soi même comme issue de Dieu » Pour Hermès, l’homme est l’égal du démiurge mais fasciné par sa propre image, il est prisonnier de la matérialité. L’homme n’est pas coupable du péché originel mais fait une erreur par sa fascination de la matière. Mani : En 245 il se sent missionné pour développer les enseignements de Jésus, Bouddha et Zoroastre. Il prône l’opposition ténèbres/lumière et soutient que sur terre le mal règne en maître. Ses adeptes sont appelés des « soldats ou auditeurs», de cette classe sont issus les Elus qui doivent pratiquer l’ascèse, l’abstinence, le végétarisme et le non attachement aux choses terrestres. De ce manichéisme se détacheront les Bogomiles qui deviendront en France les Cathares. Basilide en l’an 120 à Alexandrie, Valentin en 140 à Rome et Mani en 230 sont les 3 grands courants gnostiques qui vont poser problème au christianisme naissant, aussi en 177 Irénée de Lyon écrira et demandera dans son livre « contre les hérésies » une mise à l’index de 33 sectes gnostiques. Ce combat se poursuivra sans cesse jusqu’au point d’orgue de l’éradication cathare. Un clin d’œil à Zozime. Il nait à Panopolis dans le sud de l’Egypte vers 300 ap. J.C. Il est le plus ancien auteur connu ayant traité d’alchimie, son œuvre est imprégnée des doctrines hermétiques et gnostiques de la communauté Séthienne dont il faisait parti. Il est le premier à avoir parlé de l’Ouroboros et a développé l’idée du baptême par l’eau et du Plérôme transcendant.
Plus près de nous Jules Doisnel en 1907 va créer l’Eglise gnostique qui se voulait le prolongement du mouvement cathare, et à laquelle va adhérer René Guénon en 1909, mais qu’il quittera 2 ans plus tard. Dans les années 1970 des scientifiques américains vont fonder un mouvement gnostique appelé «la gnose de Princeton», ce mouvement se dilua rapidement car non seulement l’idée de salut n’était pas au centre de leurs idées mais de plus, ils ne se posaient pas les bonnes questions sur le passé, le présent et l’avenir. Selon Théodore au IIe siècle, est gnostique celui « qui cherche à comprendre qui nous sommes, où nous sommes vers où nous allons, de quoi devons nous être libéré, ce que c’est que de naître, puis de renaître ». Bossuet quelques siècles plus tard rajoutera : «Dans les premiers siècles du christianisme, les gnostiques étaient des chrétiens parfaits qui vivaient également de contemplation et de bonnes œuvres ». Pour Origène, gnostique chrétien, « les évangélistes ont gardé caché l’explication que Jésus donnait à la plupart de ses paraboles » et Clément d’Alexandrie évoque « la vraie tradition des bienheureux enseignements issus tout droit des saints apôtres, car tous ces enseignements et paraboles constituent la Tradition gnostique », plus loin il rajoute : « A Jacques le juste, à Jean et à Pierre, le Seigneur après sa résurrection donna la gnose, qui à leur tour la donnèrent aux autres apôtres. Ainsi, la gnose, dans un courant chrétien perdurera mais l’Eglise combattra les autres courants gnostiques qualifiés d’hérésies, car non-conforme à l’enseignement catholique. Là où les Pères de la jeune Eglise chrétienne naissante enracinaient leur foi dans ce monde en vue de l’améliorer et de le sauver, les gnostiques réfutent ce monde, tout comme ils dévalorisent la part humaine de Jésus et n’aspirent qu’au monde spirituel du vrai Dieu inconnu. Ils réfutent tout chef religieux ou toutes institutions et de ce fait la gnose devient incontrôlable, suspecte et dangereuse et c’est pour cela qu’elle sera condamnée et pourchassée autant par le pouvoir temporel que religieux. Depuis l’éradication des cathares et des vaudois, aucun mouvement gnostique d’importance ne s’est créer, par contre son esprit initial est toujours vivant, on le retrouve dans des œuvres ou des auteurs depuis le Moyen Âge. La Divine Comédie de Dante est une œuvre en partie gnostique, tout comme le Faust de Goethe, William Blake et ses visions gnostiques, Nerval, Baudelaire, Rimbaud et sa saison en enfer, Lautréamont et ses chants de Maldoror, Marguerite Yourcenar et son œuvre au noir et tout le mouvement surréaliste avec André Breton et Salvador Dali ont revendiqués cet héritage gnostique. En 1750 fut découvert un codex appelé manuscrit de Londres ou Pistis Sophia. Ce manuscrit décrit le Plérôme et les divers cercles. Puis furent découvert en 1769 le codex Bruce ou manuscrit d’Oxford et en 1900 le codex de Berlin qui contient l’évangile de Marie, le livre des secrets de Jean, la sophia de Jésus et l’acte de Pierre. Arrive 1945 et la découverte du trésor des trésors, la bibliothèque de Nag Hammadi et ses centaines de documents dont l’évangile selon Thomas, l’évangile selon philippe, les sentences de Sextus, les leçons de Silvanos et bien d’autres. De tous ces textes gnostiques, l’évangile selon Thomas en est le fleuron. Il comporte 114 logia, qui auraient été écrit par l’apôtre Thomas, lequel a toujours été vénéré par les manichéens. Cet évangile ne raconte pas la vie de Jésus mais il est un ensemble d’aphorismes, de paraboles et de prophéties dites par Jésus. Il faut le lire et le méditer à la lumière de la foi et sa lecture en osmose avec d’autres évangiles lui donne une dimension lumineuse. Son contenu souvent en opposition avec les théories dualistes gnostiques affirme que le Dieu de l’A.T. est un Dieu bon qui n’a combattu que le mal. Il fait sortir l’homme de son enfermement et lui donne la possibilité d’un salut par la connaissance. Le personnage de Judas est réhabilité, il devient le truchement qui aide Jésus à se libérer de son enveloppe charnelle et son confident qui reçoit les mystères. Cet évangile aborde les grands thèmes gnostiques, la création d’un monde imparfait, le monde d’Adam et Eve, la révélation d’un Dieu supérieur inconnu et transcendant, le rappel de la part divine d’Adam, l’élection de sa génération par Seth, 3e enfant du couple primordial, la libération de l’enveloppe charnelle et la notion du salut. Un des pièges gnostiques serait de rester accroché à cette idée duelle de deux mondes hostiles, séparés et différents. Hermès nous dit dans sa table d’émeraude : « tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas et tout ce qui est en bas…… » Cet adage doit nous réconcilier avec ces mondes intermédiaires invisibles mais qui sont à notre disposition pour modérer, adoucir et aimer ces mondes d’en haut, l’échelle de Jacob et la Jérusalem céleste en sont les archétypes. Parlant de la gnose, René Guénon disait « La gnose dans son sens le plus large et le plus élevé, c’est la connaissance, le véritable gnosticisme ne peut donc être une école ou un système particulier, mais il doit être avant tout la recherche personnelle de la vérité intégrale ». Ce qui revient à dire ce que martèle les écoles de spiritualités « Connait toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux » La gnose n’est ni athée, ni fanatique, ni agnostique, elle est une recherche intérieure personnelle à la rencontre de l’Absolu qui est objet de connaissance, pour cela il faudra se libérer du monde matériel, en pratiquant le non attachement afin de se sortir de tous ces enfermements que le monde moderne nous propose, et provoquer une catharsis libératoire. Il ne faudrait pas confondre la démarche gnostique et la voie mystique. Si la démarche gnostique est solaire, virile, diurne, apollinienne et autocratique, la voie mystique est chtonienne, féminine, nocturne et dionysiaque comme l’affirme Raymond Abellio dans son livre « la nouvelle gnose ». Si la voie mystique mène à l’extase telle celle de St Jean de la croix ou de Ste Thérèse d’Avila, la gnose emmène vers l’illumination, l’intériorité, la libération et une notion d’éternité, cette éternité qui s’oppose au temps et dont les gnostiques en faisait le but « Le salut par la connaissance vers une éternité où l’homme pourra s’unir à Dieu » ce qui faisait dire à Maître Eckhart dans ses sermons « Il n’y a pas de plus grand obstacle à la rencontre de Dieu que le temps » Pour le gnostique, l’éternité représente l’immortalité, le problème étant le « ici et maintenant ». Les cathares par exemple rejetaient le temporel et le monde de l’action alors que notre démarche implique l’action à travers la transmission, l’exemplarité et le partage des connaissances. Cette éternité que certains métaphysiciens ou mystiques placent dans le point qui est au centre du cercle, la démarche sera donc de trouver la bonne fenêtre d’éternité et suivre le rayon le plus adapté à chacun pour parvenir au centre. C’est le rayon de l’illumination et le Kairos grec pour le moment opportun. L’opposition entre la pensée gnostique et le christianisme est un fait et d’ailleurs, l’Eglise a toujours rejeté cet enseignement dualiste, même si son ésotérisme en a gardé quelques morceaux. La franc-maçonnerie de tradition tout en se référent à la pensée johannique, se rallie aux thèses gnostiques. Ce qui a fait dire à René Guénon « que dans une même tradition, l’ésotérisme et l’exotérisme ne peuvent jamais ni s’opposer ni se contredire, c’est ce qui fait leur force et leur complémentarité » L’enseignement du REAA à travers le 28e degré « Chevalier du soleil » et ses 7 sentences, l’échelle mystique du 30e degré avec ses archontes, nous propose une recherche gnostique qui passera par la philosophie, l’hermétisme, l’Alchimie, l’Astrologie et autres sciences secrètes, mais l’homme du «vouloir sans désir, que nous sommes», cherchera sans cesse l’ouverture spirituelle qui permettra à travers notre voyage terrestre de recevoir une révélation intérieure, illuminant notre vie, et préparant notre éternité. L’élitisme, la sanctification, l’illumination, la libération et la réalisation personnelle sont des étapes dans ce parcours maçonnique, gnostique et ésotérique. N’est ce pas ce que nous recherchons ? J’ai dit Georges FLOUR 3 Avril 2012 retour à la page 13 A-K |